La Haute-Savoie, une région alpine magnifique, a bien plus à offrir que des paysages époustouflants. Elle a également de nombreuses légendes et une histoire intrigante marquée par les contrebandiers, des individus courageux qui ont opéré dans ses montagnes reculées.
Explications sur la contrebande
La contrebande est une pratique aussi ancienne que la fiscalité et les frontières elles-mêmes. En Haute-Savoie, cette activité a été particulièrement active jusqu’à la fin des années 1950 en raison de la proximité avec la Suisse.
L’histoire de la contrebande en Haute-Savoie remonte à des siècles, à une époque où elle était une réponse aux règlements douaniers stricts et aux taxes élevées sur le commerce transfrontalier. Les contrebandiers, des habitants locaux, se sont aventurés dans les coins les plus reculés des montagnes pour faire passer en fraude des marchandises précieuses à l’époque telles que le sel, le tabac, le café, le chocolat, le fromage et les textiles.
La Route du sel
Le sel, marchandise particulièrement prisée, faisait l’objet d’une contrebande fréquente en Haute-Savoie. La “route du sel” était un réseau de sentiers secrets utilisés pour faire passer ce précieux minerai des salines suisses aux vallées savoyardes. Les contrebandiers, des experts de la région connaissant les villages par cœur, transportaient le sel sur leur dos, bravant les intempéries et les patrouilles douanières.
Du côté des douaniers
De leur côté, les douaniers, également appelés “gabelous” en référence à leur rôle de collecteurs de l’impôt sur le sel, la “gabelle”, se cachaient en embuscade et cherchaient à intercepter les contrebandiers. Ils pouvaient passer des heures tapis dans un buisson, allongés sur un lit pliant et recouverts d’une couverture, restant à l’affût en attendant l’arrivée d’un contrebandier. Ils devaient également inspecter les fermes des alpages.
Une fois qu’un contrebandier était repéré, le douanier l’arrêtait en criant “halte à la douane !”. Cette arrestation entraînait souvent la fuite du fraudeur ou parfois une bagarre mortelle entre le douanier et le contrebandier. La capture d’un contrebandier permettait au douanier de se servir dans la marchandise saisie et d’être bien noté par ses supérieurs.
Les contrebandiers en Haute-Savoie
Les contrebandiers étaient souvent considérés comme de véritables héros locaux, résistant à la tyrannie fiscale et à des autorités oppressives. Leurs activités étaient entourées de mystère et de récits audacieux de fuites à travers des sentiers escarpés. Ils étaient habiles dans l’art de la dissimulation, utilisant des cachettes secrètes et des tunnels pour échapper à la détection.
La contrebande en Haute-Savoie a atteint son apogée au XIXe siècle, lorsque la région était sous domination française. La frontière avec la Suisse était floue, et les douaniers français tentaient de réprimer les activités de contrebande. Cependant, les contrebandiers étaient déterminés à poursuivre leurs activités, transformant la lutte en un véritable jeu du chat et de la souris.
La création d’une zone franche en Haute-Savoie
Une zone franche est un endroit où les règles douanières et fiscales sont assouplies, voire supprimées, pour faciliter les échanges commerciaux. Cela signifie que les produits importés peuvent être stockés, transformés ou exportés sans payer de droits de douane ou de taxes. Les zones franches sont notamment utilisées pour encourager le commerce international et le développement économique.
Pourquoi créer une zone franche en Haute-Savoie ?
En 1860, la Savoie a été rattachée à la France suite au Traité de Turin, mais les habitants de Haute-Savoie ne l’ont pas accepté si facilement. Ils voulaient continuer à commercer avec Genève, et certaines communes ont même demandé par pétition à être rattachées à la Confédération Suisse. Pour les convaincre de rester en France, Napoléon III, le président à l’époque, a proposé d’étendre les zones franches déjà existantes entre 1815 et 1826 à une “grande zone franche” couvrant 3 500 kilomètres carrés, soit les 2/3 de la Haute-Savoie. Cette décision a eu un impact important sur la contrebande dans la région !
En raison de la situation géographique de la région, coincée entre les montagnes du Jura et des Alpes, Haut-Savoyards avaient du mal à vendre leurs marchandises en France. C’est donc logiquement qu’ils se rendaient du côté de Genève, une ville fortunée et accessible qui manquait justement de produits de première nécessité, pour proposer des marchandises telles que le sucre, le café ou le chocolat à des prix plus avantageux. Ce sont notamment ces raisons qui ont incité les habitants à défendre leurs liens avec la Suisse.
Un tremplin pour les contrebandiers
Pendant la période de 1860 à 1923, la grande zone franche a indirectement encouragé les contrebandiers en créant un environnement favorable à leurs activités.
Bien que les échanges de marchandises aient été autorisés dans la zone franche, elle a permis aux habitants de la Haute-Savoie de continuer à commercer librement avec la Suisse voisine sans avoir à payer les taxes douanières françaises, un atout majeur pour les contrebandiers. Ils pouvaient acheter des marchandises moins chères de l’autre côté de la frontière suisse et les revendre légalement en France, échappant ainsi aux douanes françaises et aux taxes douanières élevées. Par conséquent, même si les échanges légaux se déroulaient dans la zone franche, les contrebandiers ont profité de cette situation pour s’approvisionner en marchandises à des coûts moindres et renforcer leur commerce illégal en dehors de la zone franche.
La zone franche a été supprimée en 1923, obligeant ainsi les contrebandiers à redoubler d’ingéniosité pour continuer leurs activités clandestines tout en évitant les douaniers français jusqu’en 1950.
Les contrebandiers d’hier à aujourd’hui
Aujourd’hui, l’histoire des contrebandiers en Haute-Savoie est préservée dans les musées locaux, les expositions et les récits transmis de génération en génération. Les sentiers de contrebande d’autrefois sont devenus des itinéraires de randonnée, offrant aux visiteurs la possibilité de marcher sur les traces des contrebandiers.
Des traces de la contrebande à Châtel
Si vous souhaitez explorer les itinéraires empruntés par les contrebandiers et les douaniers de la région, c’est à Châtel qu’il faut vous rendre. Une randonnée sur leurs traces vous offre une vue panoramique sur les vallées d’Illiez et d’Abondance, vous permettant de découvrir les nombreux sentiers utilisés par ces individus lors de leurs opérations clandestines.
Perché à une altitude de 1 663 mètres, en bordure de la frontière franco-suisse, le chalet Aubert à Châtel, bien que réduit à quelques vestiges de pierres aujourd’hui, était jadis un refuge solitaire, idéal pour des rencontres discrètes dans le but d’échanger des marchandises. Il a servi de véritable repaire pour les contrebandiers.
L’ancienne douane quant à elle a été reconvertie en musée et vous permet de découvrir plus en détail la facette de l’histoire des Portes du Soleil, du temps où café, chocolat et tabac passaient clandestinement par les cols de montagne…
Une histoire à ne pas oublier
La contrebande en Haute-Savoie va bien au-delà des actes de délinquance : elle symbolise la résistance face à l’oppression et est profondément enracinée dans l’âme de la région. Aujourd’hui, la Haute-Savoie partage avec ses visiteurs une histoire captivante, celle des contrebandiers qui ont courageusement affronté les sommets par amour de la liberté.
